vendredi 24 décembre 2010

Anaïs...Anaïs...

" Nuit de Noël. Une simple note. Changement d'atmosphère, de vie. (...) Je suis allongée sur le divan, avec le numéro surréaliste de la revue This Quarter.
C'est la première fois que j'écris mon journal devant Henry. Je me sens mal à l'aise, consciente de mes gestes. Mais en même temps, j'ai envie d'écrire, comme un ivrogne a envie de boire. Tout scintille à l'intérieur de moi, comme si quelqu'un pressait ses doigts sur mes paupières closes. Scintillement. Quatre ou cinq images superposées : Hugh à Londres avec sa famille. Allendy à la Sorbonne. Mère, toute seule, triste à cause des grands changements constatés chez sa fille. Il n'y a plus de devoirs. Plus de Noëls. Seulement Henry et moi travaillant ensemble dans le calme de Louveciennes. Carillon de l'église. Sérénité de savoir ce qui est suprêmement et divinement juste. Enfin, le point est fait sur le monde. Voici le centre. Et le plus étrange, c'est que le centre ne peut être qu'un cercle parfait, ce que j'ignorais jusqu'à maintenant, naturellement, puisque je n'étais qu'un croissant de lune, un demi-cercle incurvé, incurvé dans un désir béant et douloureux, recourbé autour du vide, les bras ouverts sur rien, une ligne sans fin, une vie mal arrondie, un croissant non rempli, suspendu au-dessus du monde, pâle à force de manque, et qui brille aujourd'hui, rond, plein, complet dans sa splendeur géométrique, dans sa totalité, dans sa magnificence. La nuit de Noël, la lune était pleine, et cela seul est divin; pour cela seulement, les cloches devraient sonner, et la musique s'élever, pour cela les hommes devraient gravir les marches de la cathédrale; pour le miracle de la grande plénitude ronde entre un homme et une femme, pour le miracle de la totalité. "

Anaïs Nin, Inceste.
extrait de son journal intime, décembre 1932.

1 commentaire:

  1. ça me donne vraiment envie d'en relire, je te prêterai mes petits livres d'elle que j'ai, à l'occasion :)

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